Projet de recherche sur l’efficacité des entreprises d’insertion. La capacité d’adaptation et de réflexivité des entreprises d’insertion – Annexe 2/5
Collection
Études théoriques et méthodologiques
Année
2022
Numéro
ET2204
Auteur
Juliette Rochman
Laurence Croteau
Simon Coulombe
Édition
Centre de recherche sur les innovations sociales
Résumé
Un des objectifs du projet de recherche sur les entreprises d’insertion (EI) était d’appuyer la réflexivité collective des EI sur l’évaluation de l’efficacité de leurs interventions et l’adaptation de leur modèle d’intervention aux transformations du marché du travail.
Pour être en mesure de répondre à cet objectif et de soutenir de la façon la plus pertinente possible les EI dans leur démarche réflexive, il était essentiel d’identifier et de documenter les moyens et les ressources mobilisées au fil du temps par les EI dans un souci d’amélioration continue et d’adaptation aux évolutions du contexte socioéconomique touchant leur clientèle comme le marché de l’emploi au sein duquel elle doit s’insérer.
Trois questions centrales ont orienté la réalisation de ce document :
- Les EI évaluent-elles leur efficacité et si oui, de quelle façon ?
- Que font les EI pour s’adapter à l’évolution de leur clientèle et de ses besoins ?
- Comment les EI s’adaptent-elles aux évolutions du contexte socioéconomique ?
L’abondance du matériel disponible ainsi que les échanges avec nos partenaires et la direction du collectif des EI nous ont permis de documenter et de répondre à ces questions et de rendre compte d’une démarche réflexive allant bien au-delà de l’autoévaluation reposant sur des activités de recherche et développement (R&D).
La réflexivité des EI s’est exprimée par :
- une démarche assumée de recherche et développement portée par le Collectif des entreprises d’insertion du Québec (CEIQ) ;
- une stratégie de renforcement continue des compétences rendues possibles par la mise sur pied d’une Mutuelle de formation par le Collectif et une démarche d’amélioration continue des interventions basée sur les réalités des membres.
Plusieurs initiatives et actions posées au fil du temps montrent que les EI font preuve d’une importante capacité à se positionner et à s’adapter aussi bien aux enjeux soulevés par le contexte socioéconomique qu’à l’évolution des caractéristiques et des besoins de leurs clientèles. La compilation et l’analyse de ces initiatives nous ont permis de tirer les constats suivants.
- Les EI s’inscrivent dans une démarche d’amélioration continue de la qualité du service qu’elles offrent à leurs bénéficiaires.
Cette démarche repose deux volets distincts :
- des modalités d’autoévaluation basée sur les réalités des membres ; et,
- le renforcement continu des compétences des employés permanents rendu possible par l’existence d’une Mutuelle de formation fondée par le Collectif.
- Les EI mènent en continu un travail approfondi de recherche et développement leur permettant de comprendre et de s’adapter aux évolutions de leurs clientèles et de ses besoins comme aux évolutions du contexte socioéconomique.
En s’appuyant sur leur réflexivité collective, les EI créent des outils leur permettant d’actualiser leurs connaissances sur leur clientèle et de documenter ses éventuelles évolutions. En parallèle, elles s’appuient sur leur mobilisation collective et sur des collaborations avec diverses instances gouvernementales (la ville de Montréal, Emploi-Québec, divers ministères) au gré de programmes ou de projets spécifiques pour mener des expérimentations à petite échelle qui peuvent déboucher sur des innovations sociales plus durables.
- Les EI ont des besoins et, en dépit de leurs connaissances des défis auxquels elles doivent faire face, leur capacité d’anticipation est limitée faute de temps et de moyens.
Comme pour la plupart des OBNL, la rétention des employés permanents au sein des EI, qu’il s’agisse du personnel en intervention, à la production ou des personnes à la direction, constitue un enjeu.
Par ailleurs, au sein du réseau des EI, l’essentiel de la mobilisation en faveur de la R&D comme l’implantation des innovations sociales mises en lumière dans ce processus se fait sur une base volontaire. Certains champs de recherche sont donc laissés de côté faute de temps et de moyens et l’implantation des résultats positifs issus des expérimentations est inégale pour les mêmes raisons.
Recommandations
L’analyse des différentes stratégies et des projets développés par les EI pour renforcer leur réflexivité et leur capacité d’adaptation a mis en évidence certaines fragilités, liées au manque de personnel et de moyens spécifiquement dédiés à la recherche et au développement des innovations sociales issues des bonnes pratiques des EI. Les échanges réflexifs avec nos partenaires nous ont permis de mettre de l’avant trois axes de recommandations pour guider un éventuel soutien d’ESDC en faveur de la capacité de recherche et développement des EI.
Axe 1 : Mettre en place un mécanisme de veille systématique, prospective et proactive sur le marché du travail et l’insertion sociale par le travail
Les EI sont en lecture constante des enjeux émergents de l’évolution du marché du travail et des besoins de leur clientèle. Le présent document a mis en évidence leur capacité à s’organiser et à adopter une attitude à la fois réflexive et proactive lorsqu’émerge une évolution potentiellement déstabilisante. Cependant, cette capacité s’est davantage développée sur une base réactive plutôt que prospective. Avec l’accélération des mutations du contexte socioéconomique = accentuée par la situation générée par la crise pandémique –, cette posture présente des limites évidentes. Le financement d’une ressource ou d’une structure ayant pour fonction de réaliser une vigie systématique et proactive sur quelques thématiques, de façon à faciliter l’adaptabilité et l’évolution du modèle EI à ces mutations, apparaît très souhaitable.
Nos échanges réflexifs avec nos partenaires, dans le cadre de ce projet de recherche, ont permis de cibler deux thématiques dont l’intérêt et l’utilité sont centraux pour les EI.
- Une veille sur l’état et l’évolution du marché du travail (incluant une dimension prospective), de façon à former et orienter au mieux les travailleurs en parcours EI, constituerait en premier lieu un atout stratégique important pour les EI.
- Un recensement, une compilation et une veille ciblant les recherches existantes et en cours relatives à l’insertion sociale par le travail et les innovations en découlant, au Canada comme à l’étranger, seraient sources d’inspirations pour les EI.
Axe 2 : Fournir un soutien technique et financier permettant de capitaliser, diffuser et implanter les innovations sociales découlant de la R&D menée par les EI
Au fil du temps, le CEIQ et les EI ont mené de nombreuses recherches et expérimentations pour documenter et améliorer leur modèle, le présent document en donne un aperçu assez détaillé. Force est de constater que plusieurs de ces travaux sont demeurés sans suite ou que l’implantation des innovations sociales ainsi générées a été inégale au sein du réseau des EI. La principale explication est que l’implantation de ces innovations se fait sur une base non appuyée par les pouvoirs publics. Les EI ne reçoivent aucun financement pour la R&D.
D’autre part, il arrive que certaines thématiques ayant fait l’objet d’activités de recherche (menées par le CEIQ) n’éveillent pas, au moment de la sortie de leurs résultats, l’engouement suffisant à leur implantation, mais que le sujet refasse surface quelques années plus tard. Le travail est alors en partie à recommencer faute de capitalisation des précédents résultats. Une façon de soutenir les EI dans leur processus d’amélioration continue serait de reconnaître la fonction R&D par du financement public : d’une part pour le processus de capitalisation et de diffusion des résultats de R&D, et, d’autre part, dans le processus d’implantation des innovations sociales ainsi mises en lumière.
Axe 3 : Fonds d’innovation dédié : permettre l’accès aux EI de modalités de financement pour le développement d’innovations sociales liées à l’insertion socioéconomique et l’adaptation de leur structure commerciale
Il existe des programmes provinciaux qui accordent aux entreprises privées des crédits d’impôt pour mener à bien ce type de bonification, mais en tant qu’OBNLs, les EI ne bénéficient pas de ces aides. Pourtant, de nombreuses EI ont besoin d’adapter leur structure productive et/ou de développer de nouveaux marchés pour continuer à offrir à leurs travailleurs en formation une expérience dont les conditions sont proches de la réalité du marché du travail. La création d’un fonds d’innovation et de développement dédié aux OBNL ayant une activité d’insertion sociale par l’activité économique serait souhaitable.