Les effets des transformations indigénistes sur les Boliviennes d’origine aymara partageant leur vie entre la ville et la campagne à l’époque de la présidence de Evo Morales

Collection

Thèses et mémoires

Année

2022

Numéro

TM2202

Auteur

Cécile Collinge

Sous la direction de

Juan-Luis Klein, CRISES, UQAM

Édition

Centre de recherche sur les innovations sociales

Résumé

Thèse présentée comme exigence partielle du doctorat en Études urbaines, sous la direction de Juan-Luis Klein, CRISES, UQAM.

La Bolivie a connu sous la présidence de Evo Morales, entre 2006 et 2019, près de 14 ans d’un gouvernement qui se réclamait du Vivir Bien, soit des modes de vie indigènes centrés sur la Terre-Mère, sur l’organisation sociale communautaire et sur les valeurs de solidarité, de réciprocité et de complémentarité. La valorisation des modes de vie indigènes paysans s’est faite dans un contexte préexistant et persistant d’intégration à la mondialisation capitaliste entraînant une forte urbanisation.

Le but de cette recherche de type qualitative exploratoire est d’ajouter aux différents discours sur le Vivir Bien – sur sa philosophie, son application, ses succès, ses limites et ses échecs – les voix, trop souvent inaudibles, des femmes indigènes aymaras d’origine rurale qui, pour survivre, vivent en ville, dans l’agglomération de La Paz-El Alto, tout en conservant un pied-à-terre agricole à la campagne, dans le département de La Paz. La question principale de recherche est : Quels effets les transformations politiques et sociales indigénistes, appliquées en Bolivie sous le gouvernement de Evo Morales, ont-elles sur les femmes d’origine aymara ayant un mode de vie hybride urbain et rural, en ce qui concerne leur habiter, leur subsistance et leur pouvoir d’agir ? Pour y répondre, notre stratégie documentaire, basée sur le cadre théorique des épistémologies du Sud et sur le cadre disciplinaire de la géographie féministe, a consisté en une enquête de terrain auprès de 55 Boliviennes. À la fin de 2018 et au début de 2019, nous avons réalisé des entrevues avec 39 femmes au mode de vie urbain-rural et 16 « expertes » : députées, dirigeantes de groupes de femmes, universitaires et intervenantes auprès des femmes.

Les principaux résultats sont les suivants. Ni la campagne, ni la ville ne fournissent tout ce dont les femmes aymaras ont besoin pour vivre et faire vivre leur famille, d’où la nécessité d’adopter un mode de vie hybride pour subvenir à leurs besoins et pour permettre la subsistance de leur famille. Par ailleurs, selon les us et coutumes indigènes, disposer d’un terrain (à la campagne ou dans certains quartiers urbains périphériques) impose de participer à la vie de la communauté. Ceci ajoute aux multiples exigences de l’alternance ville-campagne : trajets, rythmes différents, dédoublement des tâches domestiques. Aux pratiques et savoirs indigènes ancestraux appris dans leur communauté rurale d’origine, les femmes ont acquis en ville d’autres capacités pour accroître leur pouvoir d’agir. Néanmoins, dans leurs deux milieux de vie elles vivent des contraintes importantes, dont le machisme de leur société patriarcale. Pour elles-mêmes et pour leurs enfants, elles aspirent à une bonne éducation ainsi qu’à une vie décente et sans violence.

Parmi les transformations politiques et sociales indigénistes dont l’impact est le plus positif pour les femmes, la baisse de la discrimination envers les indigènes est un gain considérable et indéniable. Les programmes gouvernementaux de soutien agricole et de construction d’infrastructures dans les campagnes sont également très appréciés. Cependant, les autres transformations politiques et sociales de l’époque de Evo Morales, même lorsqu’elles sont positives pour les femmes, sont autant ou davantage en lien avec le système capitaliste occidental qu’avec les modes de vie, les valeurs, les us et coutumes indigènes. Le discours du gouvernement est celui du Vivir Bien, mais son application s’éloigne des modes de vie indigènes, ce que lui reprochent plusieurs participantes à notre étude.

Au début 2022, alors que la planète est toujours aux prises avec une inquiétante crise multidimensionnelle, à laquelle s’est ajoutée la pandémie mondiale de la COVID-19, les diverses composantes du Vivir Bien, notamment ses aspects de justice sociale et environnementale, méritent d’être sérieusement considérées dans la création d’un nouveau récit civilisationnel, d’une alternative au système occidental dominant. Néanmoins, en lien avec les trois sources d’oppression de la domination occidentalocentrée que sont le colonialisme, le capitalisme et le patriarcat, il y a nécessité d’une perspective féministe sur le Vivir Bien tout comme sur la place des femmes dans le Vivir Bien, pour ne pas perpétuer, ni reproduire, les injustices et violences envers les femmes, présentes dans les deux visions du monde, l’occidentale et l’indigène.

CRISES_TM2301

mots clés

Bolivie, Vivir Bien, femmes, indigène, géographie féministe