De la marginalisation au « protagonisme » : une approche sociotechnique et linguistique de la tecnologia social
Collection
Thèses et mémoires
Année
2023
Numéro
TM2301
Auteur
Fabio Prado Saldanha
Sous la direction de
Marlei Pozzebon, CRISES, HEC Montréal, et Patrick Cohendet, HEC Montréal
Édition
Centre de recherche sur les innovations sociales
Résumé
Cette thèse s’inscrit dans la tradition sociotechnique de la littérature en innovation sociale, mettant de l’avant la notion de travail narratif. En s’appuyant sur le concept latino-américain de la tecnologia social, cette thèse apporte un exemple empirique aidant à examiner des pratiques et des mécanismes organisationnels qui visent l’émancipation d’individus appartenant à des communautés défavorisées.
Afin d’illustrer ces pratiques et ces mécanismes, cette thèse s’appuie sur un mariage entre les perspectives narrative et sociotechnique – ce qui permet d’observer la relation intrinsèque entre des phénomènes discursifs et non discursifs -, ouvrant alors une voie conceptuelle alternative aux approches économiques, institutionnelles, évolutionnistes, des pratiques sociales, multiacteurs, eudémoniques et territoriales de la littérature en innovation sociale.
En ayant comme objet d’analyse de cas une méthodologie de changement développée par une organisation brésilienne, soit Agencia de Redes para a Juventude (AdR), ce travail démontre comment l’organizing politique d’une tecnologia social se structure autour de la notion de travail narratif, en transformant des individus marginalises en leaders et acteurs de changement dans leurs communautés. Cette organisation donne des formations à des jeunes en situation de marginalité, en les conduisant dans un parcours méthodologique original qui leur offre la possibilité de repenser leur perception d’eux-mêmes et de leurs territoires, amenant ces jeunes à proposer des projets a fort impact social dans leurs communautés.
Afin de comprendre comment une tecnologia social contribue à ce que des jeunes en situation de pauvreté, stigmatisation et marginalisation puissent développer un rôle de protagoniste dans leurs territoires, nous allons faire appel à trois notions centrales.
La première est celle de la typologie discursive proposée par Alvesson et Karreman (2000b : 2). Cette typologie est pertinente dans la mesure où il est possible d’y repérer différentes échelles discursives – micro, méso et macro -, ainsi que d’y déceler les caractéristiques performatives et représentatives des structures discursives profondes et de surface.
La notion de quête d’identité (B. Czarniawska, 1997) est utile pour comprendre le processus de resignification de la perception de soi dans lequel les individus s’engagent, a la recherche des liens entre des narrations individuelles et sociétales. Cela nous permet ainsi de comprendre comment les individus donnent un nouveau sens à leurs vies, découvrent leur agentivité, et développent la motivation d’entreprendre des projets a impact social dans leurs communautés.
Et finalement, la notion d’anténarration (D. M. Boje, 2001, 2011) sert à comprendre l’action narrative engagée dans un exercice d’aspiration au changement. Cette notion exploite met de l’avant le côté prospectif de l’exercice de sensemaking, soulignant en particulier le caractère agentiel des activités de storytelling qui interagissent avec des entités matérielles et immatérielles.
La notion de travail narratif avancée par cette thèse trouve quelques implications dans le domaine du management et de la théorie des organisations.
En premier lieu, le concept d’intrigue sociotechnique, qui propose une compréhension plus éclairée du contexte d’une communauté qui s’articule autour d’une tecnologia social. Deuxièmement, le concept de manifeste sociotechnique, soulignant l’imbrication des principes-clés selon un format syllogistique. Troisièmement, la notion de prosopopée sociotechnique qui a recours à une dynamique d’enchevêtrement de concepts, artefacts et mécanismes qui expliquent le développement du rôle de protagoniste. Et quatrièmement, une nouvelle proposition de définition de middleground, comme un espace-temps de resignification d’identités et de territoires ou, grâce au travail narratif développe par une tecnologia social, des acteurs communautaires développent le rôle de protagonistes.
Cette thèse est présentée avec l’intention de contribuer à la pratique en démontrant comment une tecnologia social réussit à mobiliser une clientèle précise. Particulièrement, elle invite à comprendre comment une organisation peut – grâce à ses pratiques, ses routines et ses conversations – activement inciter des individus à s’engager dans des actions de transformation sociale.